Analyse
Les pouvoirs de police du maire : quelle prise en compte possible du bien-être animal ?
De prime abord, les prérogatives du maire concernant les animaux paraissent se cantonner à la limitation du potentiel danger que ces derniers sont susceptibles de représenter pour l’homme, via sa police spéciale et générale. Cela le conduit en réalité à bénéficier d’une certaine marge de manœuvre en matière de protection animale, bien qu’elle demeure encore limitée.
Par Marion Weisslinger, membre du CA de l'APRAD
La gestion des animaux dangereux et de la divagation animale : un moyen de les prendre en charge
Les pouvoirs de police du maire s’appliquent avant tout à la gestion des animaux considérés comme dangereux (Article L. 211-11 du Code rural) ainsi qu’à la divagation et à l’errance des animaux (Article L. 2212-2, 7° du CGCT et article L. 211-19-1 à L. 211-28 du Code rural). L’idée ainsi en creux est de prévenir toute potentielle menace pour l’homme, pour ses activités et, éventuellement, pour les autres animaux dont il est le gardien.
Cependant, du fait même de cette recherche de sécurisation de l’espace public, sont mis à la disposition du maire divers moyens légaux et réglementaires qui assurent une certaine prise en compte du bien-être animal. Tout d’abord, du fait de ses compétences en matière de divagation, le maire est tenu de disposer d’une fourrière communale afin de garantir « l’accueil des chiens et chats trouvés errants ou en état de divagation » (Article L. 211-24 du Code rural).
Si l’idée initiale est bien d’éviter toute situation dangereuse suscitée par ladite divagation – comme des accidents de la voie publique – , une telle disposition permet finalement de mettre en sécurité les animaux, voire le cas échéant, à l’issue des huit jours ouvrés de fourrière et en l’absence de décision d’euthanasie, de les replacer dans un refuge ou une association de protection animale.
Par ailleurs, les compétences du maire en matière de divagation ne s’arrêtent pas aux seuls animaux domestiques mais s’appliquent également aux animaux sauvages en état de liberté (article L. 2212-2, 7°) apprivoisés ou tenus en captivités (article L. 211-21). Dans cette optique, il est intéressant de noter que le cadre réglementaire prescrit que « le maire prend toutes dispositions de nature à permettre une prise en charge rapide de tout animal errant ou en état de divagation qui serait trouvé accidenté » (Article R. 211-11 du Code rural ).
De cette manière, le maire doit assurer la gestion – qui comprend vraisemblablement les soins – de tous les animaux, y compris sauvages, trouvés accidentés. Nous pourrions d’ailleurs déplorer, à ce stade, l’absence d’obligation faite au maire de disposer d’un centre de soins à la faune sauvage sur sa commune et qui permettrait une meilleure applicabilité de cette prescription. Par ailleurs, même si cette dernière disposition apparaît en théorie protectrice du bien-être animal, dans les faits, il est en réalité complexe de la faire appliquer, faute de services d’urgence présents dans les mairies affectés à cette tâche.
Le statut du « chat libre » : un moyen de limiter la misère animale
Il convient également de souligner que la loi du 6 janvier 1999 a prévu la création du statut du chat libre. Désormais, le maire est en charge – bien qu’il n’en ait pas l’obligation formelle – de l’encadrement des populations de chats errants en procédant de son initiative, ou à la demande d’associations de protection animale, à leur stérilisation et à leur identification avant de les relâcher sur les lieux de leur capture (Article 213-6 de l’ancien Code rural, article L. 211-27 du nouveau). En sus de fournir la possibilité de juguler de façon efficace la prolifération des chats errants, cette disposition paraît également protectrice du bien-être animal pour deux raisons.
Tout d’abord, en évitant leur multiplication, sa mise en œuvre permet mécaniquement de limiter les situations de détresse animale liées notamment à la surpopulation féline (manque de ressources, accidents de voirie etc.). Surtout, elle assure la possibilité aux associations de mettre en place des points de nourrissage en dérogeant aux règlements sanitaires départementaux (RSD), dont l’article 120 prévoit notamment l’interdiction « de jeter ou déposer des graines ou nourriture en tous lieux publics pour y attirer les animaux errants, sauvages ou redevenus tels, notamment les chats ou les pigeons ». Il convient toutefois de noter que le préfet est libre d’adopter le RSD dans son département, sans préjudice des décrets en Conseil d’État pris conformément à l’article L.1311-1 du Code de la santé publique. Dans les faits, est souvent repris le RSD issu de la circulaire du 9 août 1978.
En 2018, à l’occasion d’une question écrite d’une sénatrice, le Ministère des solidarités et de la santé a eu l’occasion de préciser que « ces dispositions du RSD n’interdisent pas d'attirer les animaux lorsque cette pratique n'est pas cause d'insalubrité ou de gêne, ni de les nourrir en dehors des lieux publics ». Et de poursuivre : « le concours des personnes nourrissant les chats à la stérilisation de ces derniers par les maires est donc possible dans le respect du droit » réponse du Ministère des solidarités et de la santé à la question n°04966 et publiée dans le JO Sénat du 01/11/2018, page 5575). Dès lors, dans l’optique d’une mise en règle de populations de chats sur un territoire défini ou dès lors que cette dernière a été effectuée, le nourrissage des félins semble tout à fait possible (de fait mettre en place des points de nourrissage régulier permet aux nourricières d’identifier les chats à stériliser et de concourir à leur mise en règle) Cela suppose toutefois le concours et l’accord du maire en charge de l’application du RSD sur le territoire de sa commune (Arrêt CE 10/03/54, Vve Picard).
Le maire, officier de police judiciaire
Enfin, en tant qu’officier de police judiciaire (Article 16 du Code de procédure pénale), il est intéressant de noter que le maire pourrait avoir un rôle à jouer – surtout dans les communes comptant peu d’habitants – dans le constat des maltraitances à l’encontre des animaux domestiques ou apprivoisés ainsi que dans leur saisie.
Des moyens qui demeurent limités malgré une volonté croissante des maires de se positionner en faveur de l’animal sur leur commune
Si le maire dispose indubitablement de certains moyens légaux et réglementaires permettant de prendre en compte le sort des animaux sur sa commune, force est de constater que sa marge de manœuvre reste étroite.
La question de la chasse
La réglementation de la chasse demeure aux mains des préfets. En effet, le Gouvernement, et par extension le Préfet, est seul à détenir la police de la chasse en vertu des articles L. 220-2 du Code rural et L. 420-2 du Code de l’environnement. C’est ainsi le préfet qui fixe chaque année par arrêté la période d’ouverture de la chasse (article R. 424-6 du Code de l’environnement), sachant que, par exception, le ministre chargé de la chasse est celui qui fixe par arrêté les dates d'ouverture et de fermeture pour les oiseaux de passage et le gibier d'eau (article R. 424-9 du Code de l'environnement).
Nous pouvons toutefois souligner qu’en application de ses pouvoirs de police générale, un maire a obtenu la validation en 1995 par le Conseil d’État de son arrêté interdisant la chasse à moins de 200 mètres des habitations. Cependant, cela a été uniquement rendu possible du fait du contexte puisque de nombreuses altercations avaient opposé chasseurs et riverains au sein de la commune.
En effet, il est en réalité bien acté qu’un maire n’a pas la compétence pour prendre des arrêtés visant à interdire la chasse de façon générale et absolue. Il peut ainsi uniquement opérer de manière circonscrite et proportionnelle en fonction de circonstances particulières qui lui permettent de recourir à son pouvoir de police générale en matière de sécurité publique (Articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales).
Selon l’article R. 424-1 du Code de l’environnement, le préfet paraît seul habilité à limiter la chasse en vue de protéger l’animal mais uniquement pour assurer le repeuplement d’ « une ou plusieurs espèces de gibier ». Il ne s’agit donc pas de protéger l’animal pour lui-même, et encore moins son droit à la vie.
Le juge administratif a eu plusieurs occasions de censurer des arrêtés pris par les maires en vue de limiter voire d’interdire certaines pratiques de chasse. C’est le cas notamment de l’arrêté pris par la maire de la commune de Valaire (moins de 100 habitants) qui visait à interdire la vénerie sous terre et qui a été annulé par le Tribunal Administratif d’Orléans (TA d’Orléans, 15 juillet 2020, n°1903569). La maire en appelait notamment à la cruauté d’une telle pratique portant atteinte à la dignité humaine (1) Cependant le tribunal a conclu à son incompétence en la matière. Il a ainsi bien rappelé que des limitations apportées par le maire à l’exercice de la chasse peuvent être prononcées mais « doivent être nécessaires, eu égard à des circonstances propres à la commune, pour préserver l’ordre et la sécurité́ publics, et proportionnées à cette nécessité́ ». Or, pour lui, la maire ne « fait état d’aucune circonstance qui, au regard des atteintes à l’ordre et à la sécurité́ publics ainsi alléguées, serait propre à la commune de Valaire et qui justifierait par suite que son maire intervienne pour édicter une règlementation particulière sur le territoire de cette commune ». Ainsi, il semble que, pour le maire, les possibilités de limiter la chasse sur le territoire de sa commune soient très restreintes. En tout état de cause, la volonté de protéger de façon générale la vie ou a fortiori la sensibilité animale ne semble pour l’instant pas retenue par le juge.
Des victoires en demi-teinte
Une victoire en demi-teinte a toutefois été enregistrée par le maire de la commune de Pont-Saint Maxence qui avait émis un arrêté d’interdiction de chasse à courre à 300m des habitations. En effet, si l’arrêté a été annulé car il visait également à interdire le franchissement par les véneurs du domaine public routier communal, le juge a en revanche admis que « les incidents répétés liés à la chasse à courre sur le territoire de la commune de Pont-Sainte-Maxence sont constitutifs de troubles à la tranquillité et à la sécurité publique justifiant l’usage par le maire de ses pouvoirs de police générale. » (TA d’Amiens, 6 mars 2020, n°1801168). Encore une fois, ce n’est ici pas la sensibilité ou l’atteinte à la vie animale qui est protégée mais bien la sécurité des citoyens puisqu’il s’agit d’éviter la divagation d’un animal sauvage sur la voie publique et à proximité des habitations.
Pour les maires sensibles à la cause animale, de telles jurisprudences fournissent des ressorts juridiques. Si le motif invoqué ne peut être directement la protection animale, ou l’atteinte à la dignité humaine découlant de la violence commise à son encontre, en revanche, d’autres arguments peuvent indubitablement être avancés pour parvenir de façon détournée à cette fin, avec un résultat certes imparfait eu égard aux compétences limitées du maire.
Malgré ses possibilités d’intervention limitées en matière de chasse, le maire reste toutefois responsable de la destruction des animaux susceptibles d’occasionner des dégâts sur le territoire de sa commune, sous contrôle du Conseil municipal et du représentant de l’État dans le département (Article L. 2122-21, 9° du CGCT). Nous pourrions ainsi penser qu’un maire sensible à la cause animale pourrait éviter d’user de ce droit, surtout lorsque l’on connaît la violence de certaines pratiques de « destruction » des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (2). Cependant, en réalité, en cas de manquement de sa part, la responsabilité de la commune peut se trouver engagée.
Elle est susceptible d’être retenue par le juge lorsque les habitants ont alerté le maire sans que celui-ci n’agisse (CAA de Marseille, 11 décembre 2006, n°05M00792). Le préfet peut également se substituer à lui en cas de manquement de sa part, limitant une nouvelle fois son champ d’action.
Enfin, le maire enregistre également les déclarations de piégeage mais sans toutefois avoir son avis à donner.
Finalement, en matière de chasse et de destruction des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts, le maire a une compétence plutôt liée et une marge de manœuvre très réduite. (Pour de plus amples détails sur les compétences juridiques du maire en la matière voir : Charlez Annie, « Le maire et la chasse sur sa commune : quelques aspects juridiques », Faune sauvage, no 290, trimestre 2011.) Cela n’empêche pas, comme nous l’avons vu, certains maires de tenter tout de même l’expérience en prenant des arrêtés d’interdiction.
Des villes sans animaux sauvages dans les cirques?
Cette volonté croissante de la part du maire de se positionner en matière de protection animale est une nouvelle fois illustrée ces dernières années par la mobilisation de plusieurs communes pour des villes sans animaux sauvages captifs. Au 30 octobre 2020, 428 communes ont pris position pour des cirques sans animaux dont 108 de plus de 10 000 habitants, selon l’association Code Animal.
Ainsi, le conseil de Paris a émis le vœux pieux en novembre 2019 de parvenir à mettre fin progressivement aux cirques avec animaux sauvages, en s’engageant notamment à accompagner ces structures jusqu’en 2022 dans leur transition économique et artistique (J. Duffé, « Paris : la Ville acte la fin des animaux sauvages dans les cirques », Le Parisien, 15 novembre 2019).
En outre, plus d’une centaine de maires ont pris directement des arrêtés d’interdiction, malgré l’illégalité patente de tels actes. En effet, le juge a eu l’occasion de souligner que les pouvoirs de police générale du maire ne peuvent s’appliquer en la matière. Ainsi, le Tribunal Administratif de Toulon a rappelé que, dans le cas des cirques, « l'atteinte aux valeurs de respect de la nature », « l’atteinte à la bonne hydratation des animaux » ne relèvent ni « du bon ordre, ni de la sécurité ou de la salubrité publique, ni même d’ailleurs de la moralité publique ». (TA de Toulon, 28 décembre 2017, n°1701963).
Ces arguments ont également été soulignés par le Ministère de l’intérieur, à l’occasion d’une question écrite (Question écrite n°03363 publiée dans le JO Sénat du 08/03/2018 p. 1035 et réponse du Ministère publiée au JO Sénat du 24/05/ 2018, page 2494). Il est intéressant de noter que de nombreux maires tentent, pour défendre la légalité de leur décision, de s’appuyer sur la préservation de la moralité publique. Cette dernière a été entérinée comme composante de l’ordre public en diverses occasions par la jurisprudence (CE, 17 décembre 1909, Chambre syndicale de la corporation des marchands de vin et liquoristes de Paris ou encore CE 18 déc. 1959, Films Lutetia).
Cependant, jusqu’ici, la défense de la sensibilité animale au nom de la moralité publique n’a pas encore été retenue par le juge administratif. Cela est d’autant plus compréhensible eu égard aux verrous juridiques mis en place. En effet, pour le cas des animaux sauvages dans les cirques, il est de fait compliqué d’invoquer le mépris de la nature intrinsèquement sauvage de l’animal en tant qu’élément constitutif d’une exigence biologique propre à l’espèce.
L’arrêté du 18 mars 2011 réglementant les conditions de détentions des animaux de cirque, dans son article 22, prévoit déjà les règles visant à satisfaire les besoins biologiques et comportementaux ainsi que le bien-être de l’animal. Son droit à la liberté n’est ainsi tout bonnement pas considéré. De cette manière, actuellement, il apparaît que le maire n’a pas la possibilité d’agir via des arrêtés d’interdiction pour promouvoir des cirques sans animaux sauvages.
Cette volonté de la part des maires de défendre des villes dénuées de tout animal sauvage captif est une nouvelle fois illustrée par les positionnements de Grégory Doucet, nouveau maire de Lyon, à l’occasion de la campagne en vue des élections municipales. Il s’est en effet engagé à mettre fin à l’enfermement des animaux sauvages du Parc de la Tête d’Or à Lyon, une panthère des neiges n’ayant, de son propre aveu, absolument pas sa place dans un petit enclos tandis que son territoire dans la nature peut s’étendre sur plusieurs centaines de kilomètres (3).
Cependant, une nouvelle fois, il apparaît que les pouvoirs du maire en la matière sont limités. En effet, sachant que le préfet, après avis des collectivités territoriales, est seul habilité à signer l’arrêté d’ouverture des établissements zoologiques (Article L413-3 et R413-15 du Code de l’environnement (arrêté du 21 novembre 1997), nous pourrions nous demander, en vertu de la législation actuelle, quelles ressources juridiques pourrait invoquer Grégory Doucet pour ordonner la fermeture d’une telle structure. Une affaire à suivre.
Conclusion
Au terme de cette présentation, nous pouvons conclure que si le maire a indubitablement à sa disposition plusieurs moyens juridiques pour agir localement en faveur des animaux sur sa commune, ces derniers restent de fait limités. Or, face au constat d’un positionnement croissant des maires soucieux de prendre en compte la sensibilité animale, il serait intéressant que leur soient accordées davantage de prérogatives en la matière.
(1) Cet argument est d’ailleurs très intéressant car la maire semble par là même chercher à reprendre l’argumentation qui avait fonctionné à l’occasion de la validation en 1995 par le Conseil d’État d’un arrêté du maire visant à interdire le lancé de nains sur sa commune. Le Conseil d’Etat avait accordé au maire, dans ce cas, de pouvoir s’appuyer non pas sur des circonstances particulières propres à sa commune mais bien sur un principe général de sauvegarde de la dignité humaine (CE Ass., 27 oct. 1995, Commune de Morsang-sur-Orge)
(2) La loi parle effectivement de « destruction » lorsqu’il s’agit d’espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (voir par exemple l’article L. 2122-21, 9° cité plus tôt). Quant aux violences faites, nous renvoyons, entre autres exemples, à l’enquête menée par One Voice concernant la pratique du déterrage des renardeaux : https://one-voice.fr/fr/blog/infiltration-chez-des-deterreurs-de-renardeaux.html.
(3) Il s’agit de propos prononcés par lui à l’occasion d’un débat public organisé par EELV le 17 février 2020 et résumé par l’Hebdomadaire Tribune de Lyon : M. Amen, « Les Verts plaident pour la fermeture du zoo du parc de la Tête d’Or », Tribune de Lyon, 18 février 2020