Analyse
Souffrance et vie de l’animal
Protéger l’animal de la souffrance a-t-il plus d’importance que préserver sa vie pour le droit animalier ? Une proposition de loi se proposait de corriger le déséquilibre actuel.
Benoît Thomé
Protéger l’animal de la souffrance a-t-il plus d’importance que préserver sa vie pour le droit animalier? C’est la question que l’on est en droit de se poser en regardant le quantum des peines proposées concernant les animaux domestiques, sauvages captifs ou apprivoisés dans la réglementation française actuelle.
Un droit qui réprime les atteintes à la souffrance plus que l’atteinte à la vie
Le fait de donner la mort involontairement à un animal domestique (contravention de 3ème classe, Code pénal R653-1) est sanctionné moins sévèrement que le fait de le maltraiter (contravention de 4ème classe, Code pénal R654-1). Le fait d’enlever la vie volontairement à l’animal (contravention de 5ème classe, Code pénal R655-1) est condamné moins durement que les actes de cruauté et d’abandon (2 ans de prison, 30 000 € d’amende, Code pénal 521-1).
Cette hiérarchisation est surprenante, car quel plus grand tort peut-on causer à l’animal que celui de lui enlever la vie? Et encore, cette sanction pour le fait de tuer un animal n’est-elle pas applicable en cas de nécessité, possibilité qui n’existe pas heureusement pour l’acte de cruauté. L’invocation de la nécessité est une voie facile pour tuer l’animal de toutes sortes de manières.
Au nom de la nécessité, la mortalité en élevage est acceptée, comme l’est un taux de rebut ou de non-qualité pour l’industrie. Pour les poulets de chair, la directive européenne (2007/43/CE) autorise une mortalité de à 3,6% à 41 jours permettant à l’éleveur d’augmenter la densité de poulets (soir plusieurs millions de poulets en France). Les cannes issues de l’élevage de canard mulard (pour la production de fois gras) sont broyées à la naissance « par nécessité », les foies de canards mâles répondant mieux au gavage. Les euthanasies de convenance dans les fourrières, refuges et cabinets vétérinaires par les clients concernent des dizaines de milliers de chats et de chiens.
A vrai dire, les souffrances sont aussi classées entre celles qui sont évitables et celles qui ne le sont pas.
Comme le fait observer M. Deguergue (RSDA, 1-2/2019, p 68) « dans la directive européenne de 1998 concernant la protection des animaux dans les élevages (…), le bien-être des animaux est associé à l'absence de souffrance inutile, ce qui est une conception restrictive du bien-être, alors que le bien-être requiert des obligations positives en termes de soins, de nourriture et de confort». L’Etat français dans l’arrêté du 30 mars 2000 reprend cette notion et proscrit toute souffrance « évitable ». A vrai dire, l’existence d’un guide de bonne pratique de dépilation des lapins angoras est, selon un jugement du Conseil d’Etat, un gage suffisant du fait que les souffrances des animaux sont minimisées.
Des textes plus généraux, comme la Convention européenne des animaux de compagnie et la Déclaration universelle des droits des animaux vont aussi dans le sens d’accepter la mise à mort des animaux .
On aurait pu penser qu’un texte aussi important que la Convention européenne des animaux de compagnie condamnerait le fait de tuer ces animaux. Il n’en est rien. Ainsi si « nul ne doit causer inutilement des douleurs, des souffrances ou de l'angoisse à un animal de compagnie. » le « sacrifice » de l’animal est autorisé, mais encadré, car il ne doit être pratiqué que par un vétérinaire ou une personne compétente « avec le minimum de souffrances physiques et morales en tenant compte des circonstances psychologiques des clients et de l’état de santé ou souffrance de l’animal».
La déclaration universelle des droits des animaux ne lreconnait pas non plus à l’animal le droit à la vie mais le droit à ne pas souffrir car « si la mise à mort d’un animal est nécessaire, elle doit être instantanée, indolore et non génératrice d’angoisse. »
En résumé, l’être humain a le droit de tuer l’animal domestique dès lors qu’il peut invoquer une nécessité, nécessité qui lui est toute personnelle mais qui n’est pas du tout nécessaire du point de vue de l’animal. En revanche, l'homme n’a pas le droit de faire souffrir l'animal domestique.
Un détournement de la conception de l’animal comme « être sensible »
D’où vient cette curieuse conception et cette si faible prise en compte de la vie animale?
Nous y voyons un détournement de la présentation de l’animal comme être sensible. La compréhension de beaucoup de personnes est qu’il s’agit d’abord de protéger la sensibilité de l’animal depuis l’inscription en 1976 dans le Code rural de la notion d'animal comme être sensible (article L214-1) jusqu’à sa concrétisation par l’introduction de la sensibilité de l’animal dans le Code civil en 2015 (article 515-14).
Pourtant, le texte de 2015 n’oublie pas de mentionner une évidence, à savoir que l’animal doit être en vie pour souffrir... D’où la formulation que « tout être vivant, étant un être sensible, doit être placé … ».
Il serait utile de revenir aux sources philosophiques de la protection animale.
« Sensibilité animale et respect de la vie, les deux poumons de la protection animale. (extrait d’un article publié par l’association Animal Cross),
Deux courants de pensée sont à l’origine de la protection des animaux en France, et ailleurs. La protection des animaux se fonde d’abord sur l’idée que l’animal est un être sensible. C’est le courant dominant en Occident. L’autre courant voit surtout en lui un être vivant. C’est le courant dominant en Orient.
Le premier courant s’appuie sur la perception de l’animal comme un être sensible. La phrase de J. Bentham, chef de l’école utilitariste anglaise au XIXᵉ siècle est connue. Il écrit, à propos des animaux : « La question n’est pas : « Peuvent-ils raisonner ? Peuvent-ils parler ? Mais : Peuvent-ils souffrir ? » Après lui, et progressivement, s’impose cette idée que l’animal ressent douleur, souffrance et angoisse. L’homme, souvent à l’origine de cette souffrance, doit s’attacher à diminuer cette souffrance, et même à la supprimer. Allant plus loin, nombre de nos contemporains décrivent l’animal comme un être sentient, c’est-à-dire qui possède un « monde intérieur ». Il n’éprouve pas seulement la souffrance mais une palette de sentiments et d’émotions, il est doué d’une conscience. Il possède une perception singulière de son environnement, son « Umwelt » au sens original, c’est-à-dire le monde qui l’entoure. De cette tradition naît la présentation de l’animal comme être sensible dans notre droit (Code rural art. L214.1 1976, Code civil art. 515-14 2015). Ce n’est pas ici le lieu de développer cette idée.
Passons au deuxième courant de pensée. Il voit dans l’animal un être vivant. La protection lui est due en fonction de la vie qui l’habite et qu’il convient de respecter. L’interdiction de tuer l’animal n’est pas fondée seulement par le fait qu’il a un intérêt à vivre (P. Singer et son école) mais au nom du respect de la vie.
Cette conception est très profonde dans le bouddhisme, le jaïnisme, et certaines traditions hindoues. « Au cours des siècles, les religions traditionnelles indiennes ont développé des principes fondés sur la vie sous toutes ses formes. Les interrogations sur celles-ci n’étaient pas limitées aux humains mais incluaient aussi les animaux. (…) Ahimsa, l’un des principes fondamentaux de l’hindouisme, prône la non-violence et le respect de toute vie » [1]. En Inde, cette conception est à l’origine de la possibilité pour les régions indiennes d’interdire l’abattage des vaches et également du devoir de compassion envers les animaux (constitution de 1950) [2], même si la réalité vécue par les animaux semble beaucoup moins rose. Cette conception protège la vie animale comme les autres vies.
La figure qui la première incarne cette conception en Occident est St François d’Assise. Au XIIIème siècle, il s’émerveille du feu, de l’eau, du vent. Il prêche aux animaux, qui sont donc jugés dignes de le comprendre et de louer Dieu. En traversant les siècles, citons Gandhi, et Albert Schweizer, disciple de Gandhi, qui écrit « je suis vie qui veux vivre entourée de vie qui veux vivre ».
Une proposition de loi vient corriger cette incohérence.
Dans ce contexte, la proposition de loi du député Loïc Dombreval était plus que la bienvenue. Elle avait été signée par plus de 150 députés.Malheureusement, sans doute sous la pression du gouvernement, le dernier texte qui vient d’être proposé par les partis LREM_Modem-Agir a supprimé cette proposition.
Dans l’exposé des motifs, le député Dombreval explique sa proposition de « créer un article 521-3 [au code pénal] opérant une « délictualisation » du fait de donner volontairement la mort à un animal, sans nécessité, publiquement ou non. Fait qui jusqu’ici n’est puni, par l’article R.655-1, que d’une simple peine contraventionnelle (contravention de 5ème classe soit 1500 euros d’amende), actant une concurrence incompréhensible et directe avec l’article 521-1 du code pénal [qu’il propose de soumettre à la même peine]…Désormais, à la faveur de ce nouvel article, tuer volontairement son animal ou celui d’autrui sans nécessité, serait constitutif d’un délit qui exposerait son auteur à une sanction unique pouvant aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende (…). Ce nouvel article L.521-3, à créer, « délictualiserait » aussi le fait d’exercer volontairement, sans nécessité, publiquement ou non, des mauvais traitements envers un animal, fait jusqu’ici sanctionné trop faiblement par l’article R-654-1 (contravention de 4ème classe- 750 euros) le punissant de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende. »
Conclusion : ne pas faire de hiérarchie
Il serait bon de revenir à un certain bon sens. L’animal doit d’abord disposer de sa propre vie pour pouvoir ne pas souffrir. Ainsi, le plus logique, serait de réprimer également les atteintes à sa vie et à sa sensibilité.
[1] O. Le Bot, Cours de droit constitutionnel animalier
[2] O. Le Bot, Cours de droit constitutionnel animalier