Analyse
Propositions de loi n° 3661 et 3791 visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale - Le législateur et l’idéologie
Vendredi 29 janvier 2021, l’Assemblée Nationale a conclu plusieurs mois de valse-hésitation par l’adoption en première lecture de la Proposition de loi n° 3791 visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale. Loi trop timide pour les uns, porte ouverte sur l’inconnu pour d’autres, le thème était éminemment délicat. Même si les opinions se sont clairement exprimées, les débats se sont tenus dans une atmosphère constructive, sinon apaisée, et la loi a été votée par 79 voix pour et 2 contre.
Par Nathalie Soisson, membre du CA de l'APRAD
L’APRAD, toute jeune association ayant pour ambition de défendre les animaux par le droit, a beaucoup travaillé sur le sujet. Composée de diplômés du DU de Droit Animalier de l’Université de Limoges, l’APRAD s’est basée sur les mémoires rédigés par les étudiants pour obtenir leur diplôme. Parmi ces mémoires, 23 thèmes en lien avec la proposition de loi ont été sélectionnés, et retravaillés sous forme d’amendements aux Chapitres I et II de la proposition de loi.
8 de ces propositions ont été reprises et déposées par plusieurs députés, mais 3 n’ont pas réussi à passer le barrage des articles 40 et 45 de la Constitution. Elles portaient sur l’interdiction des colliers à pointes et autres colliers électriques, l’encadrement des conditions de travail et de détention des chiens de sécurité, ou encore la prise en compte des intérêts de l’animal d’un couple en instance de divorce, dans la lignée de l’arrêt Delgado (Cassation Civile, 9 décembre 2015).
Cette étape à elle seule pourrait faire l’objet d’un article à part entière et a d’ailleurs donné lieu à des débats animés devant la Commission des Affaires Économiques chargée d’instruire la proposition et de préparer le texte pour la séance publique de l’Assemblée Nationale. Mais ces trois sujets, qui semblaient a priori directement liés au thème de cette PPL, ont été jugés par les administrateurs de la Commission, comme de nombreux autres amendements, trop éloignés de son texte même.
Sur ces 5 amendements, 4 ont été adoptés en première lecture :
- Le mandat de protection animale (Chapitre I, article 5 bis nouveau de la PPL ; article 515-15 du code civil), inspiré du mandat de protection future, permet de désigner à l’avance une personne de confiance pour s’occuper de son animal en cas d’incapacité ou de décès ; son champ d’application et la sécurité juridique apportée par ce mandat sont supérieurs à celle d’un legs.
- L’interdiction de la vente d’animaux aux mineurs sans le consentement de leurs parents ou des personnes exerçant l’autorité parentale (article 5 ter nouveau PPL; article L. 214-8 du code rural et de la pêche maritime) est un moyen efficace de lutter contre la maltraitance et l’abandon ; cet amendement permet de supprimer le flou qui existait jusqu’ à présent concernant les mineurs de 16 ans et plus.
- L’interdiction des équidés dans les attractions de type carrousel vivant dites « manèges à poneys », dans lesquels des poneys ou ânes tournent toute la journée autour d’un pieu, parfois accompagnés de leurs poulains ; l’interdiction devra s’appliquer tant dans l’espace public que privé (article 7 bis nouveau PPL ; article L. 214-10-1 du code rural et de la pêche maritime).
- L’ajout du mot « animal » après « autrui » et « personne », à l’article L 122-7 du code pénal, clarifie ce texte qui « dégage de sa responsabilité pénale la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien » (article 8 bis nouveau PPL, article L.122-7 du code pénal).
Le 5ième amendement proposé par l’APRAD, le remplacement d’un mandat de dépôt par un contrat spécifique de pension d’animal, plus adapté aux besoins spécifiques des animaux, notamment des équidés, a été retiré pour être retravaillé avant l’examen de la PPL par le Sénat.
Un débat est toutefois né là où on ne l’attendait pas, lors de l’examen de l’amendement visant à modifier l’article L 122-7 du code pénal, au point qu’un scrutin public a été demandé.
Débat sur l'état de nécessité
De façon surprenante, le député Perea a exprimé son opposition, estimant qu’adopter cet amendement reviendrait « à signer un chèque en blanc pour ceux qui s’introduisent dans les abattoirs ». Le Rapporteur Houbron et le député Villani ont expliqué qu’il ne s’agissait que de clarifier l’article L 122-7 qui se réfère aux termes « sauvegarde de la personne ou du bien ».
Devant l’incertitude créée par cette formulation, il était estimé préférable de préciser que la non responsabilité bénéficiait également à la personne ayant sauvé un animal dans les conditions autorisées par l’article. Le cas le plus courant est celui du chien ou du chat laissé enfermé dans une voiture en plein soleil et qu’il est urgent de délivrer. En effet, il faut alors agir de façon extrêmement rapide et un temps précieux peut être perdu à convaincre les forces de l’ordre appelées sur place du bien-fondé d’une intervention. L’ajout du terme « animal » dans le texte peut faire la différence.
Cet article, à l’origine d’une jurisprudence abondante et ancienne sur « l’état de nécessité », serait ainsi mis en concordance avec l’article 515-14 du code civil ayant, en partie au moins, sorti l’animal de la catégorie des biens. Si l’état de nécessité peut être invoqué pour la sauvegarde d’un bien, il devrait a fortiori l’être pour la sauvegarde d’un « être vivant doué de sensibilité ». Une précision importante, mais pas une révolution !
Le statut de l'animal en question
Néanmoins le débat a pris un tournant inattendu pour rejoindre des sphères plus élevées. Alors qu’il s’agissait juste de distinguer l’animal du bien, Madame la député Thill a craint qu’il n’aboutisse à sortir l’animal de la catégorie des biens et le mettre au niveau de la personne humaine.
Les députés en faveur de l’amendement ainsi que le gouvernement ont soutenu qu’il ne s’agissait que d’une formule symbolique qui ne changeait rien sur le plan de la responsabilité. En réponse aux deux questions opposées « Puisque c’est symbolique, à quoi sert d’amender l’article ?» et « Puisque ça ne change rien sur le fond, pourquoi ne pas amender l’article? », les députés ont tranché par 42 votes pour et 15 contre, en faveur de l’amendement.
On voit bien à cette occasion que le statut de l’animal doit être débattu et enfin réglé. Aussi important qu’il puisse être, l’article L 515-14 le laisse dans les limbes et cette incertitude gêne jusqu’à l’adoption de règles simples et de bon sens. Pourtant, intercaler « animal » entre « personne » et « bien » respecte complètement l’esprit de la loi du 16 février 2015, citée à de nombreuses reprises durant les débats, et met l’animal à la place que le législateur lui a octroyé.
Plus tard, pendant l’examen de l’article 12 portant sur la fin de la captivité d’espèces sauvages à des fins commerciales, lors d’une intervention du député Mélenchon, une voie dans l’hémicycle a crié que ce n’était que de l’idéologie. Au lieu de l’ignorer, le député s’est interrompu et a simplement dit « oui ».
Et pourquoi pas ? Qu’est-ce que l’idéologie ?
Ce terme doit-il avoir une connotation négative ? Selon le Larousse, il s’agit d’un « système philosophique qui se proposait d’étudier les idées en général et leur origine » ou encore « un ensemble de représentations dans lesquelles les hommes vivent leurs rapports à leurs conditions d’existence ». On ne peut rêver plus pertinent en ces temps si particuliers où de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer que l’homme change ses rapports à la nature et aux animaux.
Idéologie pour certains, survie pour d’autres, pourquoi faudrait-il choisir son camp ? En quoi cela serait-il contradictoire? La société civile montre de plus en plus clairement la direction à prendre. L’hémicycle commence peut-être à l’entendre…