Analyse
Encadrement des élevages de nouveaux animaux de compagnie domestiques : la loi est-elle capable de «s’auto-corriger»?
Les lois encadrent notre vie quotidienne et constituent nos points de repère quant aux notions de bien, de mal, d’autorisations et surtout d’interdits. Mais les lois sont écrites par les humains, et les humains sont faillibles. Parfois, les législateurs également commettent des erreurs. Et rectifier cette erreur n’est pas toujours chose aisée, même si la loi n’est pas gravée dans le marbre. Un exemple longtemps passé inaperçu est celui de l’encadrement des élevages des nouveaux animaux de compagnie (dits NAC) domestiques…
Par Brigitte Leblanc, Vétérinaire

Le déroulé d’une erreur
Tout commence en 1987 par la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie qui dispose dans son article 8 que :« Toute personne qui, à l'époque de l'entrée en vigueur de la Convention, se livre au commerce ou, à titre commercial, à l'élevage ou à la garde d'animaux de compagnie ou qui gère un refuge pour animaux doit, dans un délai approprié qui est à déterminer par chaque Partie, le déclarer à l'autorité compétente (…) Cette déclaration doit indiquer : les espèces d'animaux de compagnie qui sont ou seront concernées ; la personne responsable et ses connaissances ; une description des installations et équipements qui sont ou seront utilisés. Les activités mentionnées ci-dessus ne peuvent être exercées que : si la personne responsable possède les connaissances et l'aptitude nécessaires à l'exercice de cette activité, du fait soit d'une formation professionnelle, soit d'une expérience suffisante avec les animaux de compagnie, et si les installations et les équipements utilisés pour l'activité satisfont aux exigences posées à l'article 4…L'autorité compétente doit, conformément à la législation nationale, contrôler si les conditions mentionnées ci-dessus sont remplies ou non. »
Donc en résumé, selon le droit européen, l’élevage des animaux de compagnie, quels qu’ils soient, devrait être soumis à une déclaration à l’autorité compétente, une obligation de connaissances de l’espèce élevée, satisfaire à des exigences quant aux installations et équipements. De plus, des contrôles vétérinaires et administratifs devraient être réalisés.
La France ratifie ce texte en 2003 et le transpose en droit national en 2008 par le décret n°2008-871 du 28 août 2008 relatif à la protection des animaux de compagnie et modifiant le code rural. L’article 8 quant à lui est transposé par ce décret aux articles R 214-26 à 31 du Code rural et de la pêche maritime (CRPM), qui énoncent notamment :
« Article R214-28 : Les déclarations mentionnées aux articles L. 214-6-1 et L. 214-6-5 ainsi qu'au dernier alinéa de l'article L. 214-7 sont déposées auprès du préfet du département…
Article R214-29 : Les activités mentionnées aux articles L. 214-6-1 à L. 214-7 doivent s'exercer dans des locaux et à l'aide d'installations et d'équipements adaptés, selon les espèces concernées, aux besoins biologiques et comportementaux des animaux ainsi qu'aux impératifs sanitaires de l'activité...
Article R214-30 : La personne responsable d'une activité mentionnée aux articles L. 214-6-1, L. 214-6-2, L. 214-6-3 et L. 214-6-5 doit établir, en collaboration avec un vétérinaire sanitaire, un règlement sanitaire régissant les conditions d'exercice de l'activité afin de préserver la santé et le bien-être des animaux en fonction de leur espèce, ainsi que la santé publique et l'hygiène du personnel… La personne responsable de l'activité fait procéder au moins deux fois par an à une visite des locaux par le vétérinaire sanitaire de son choix…
Article R214-30-3 : La personne responsable d'une des activités définies aux articles L. 214-6-1 à L. 214-7 doit tenir à jour et être en mesure de présenter à toute réquisition des services de contrôle :
1° Un registre d'entrée et de sortie des animaux, dûment renseigné, qui comporte le nom et l'adresse des propriétaires ;
2° Un registre de suivi sanitaire et de santé des animaux qui comporte notamment des informations sur les animaux malades ou blessés, les comptes rendus des visites, et les indications et les propositions du vétérinaire sanitaire en charge du règlement sanitaire... »
Tout peut sembler répondre aux exigences de la convention européenne, cependant…
L’erreur fatale…
L’erreur est que tous ces articles se fondent sur les activités concernant les animaux de compagnie domestiques énumérées aux articles L214-6, L 214-6-1 et 2 du CRPM, qui s’ils prennent en compte l’activité de vente pour toute espèce d’animal de compagnie domestique, ne prennent en compte l’activité d’élevage QUE pour les chiens et les chats. De ce fait, les élevages de NAC domestiques ne sont pas concernés par cette transposition française de l’article 8 de la Convention européenne. Il n’y a donc aucune obligation de déclaration à l’autorité compétente : une simple immatriculation au registre du commerce et des sociétés suffit pour ouvrir un élevage de NAC domestiques. Aucune connaissance de l’espèce élevée n’est obligatoire, aucun contrôle vétérinaire n’est possible, pas de registre sanitaire à tenir, aucun contrôle administratif par les services des DDPP n’est prévu en l’absence de déclaration dans ces services. Il n’y a de plus aucun contrôle des installations.
Comment combler cette lacune ?
La France est donc « hors-la-loi européenne » concernant l’encadrement des élevages de NAC, puisque la ratification de la convention vaut engagement à sa transposition « correcte » en droit national. Malheureusement, cette convention relève du Conseil de l’Europe qui n’est pas doté d’une structure juridictionnelle obligatoire (comme la Cour Européenne des droits de l’Homme pour la Convention européenne des droits de l’Homme). C’est donc sur le terrain national que la solution doit se trouver : au niveau des parlementaires, avec l’appui du milieu associatif et de la société civile.
Certes la lacune de cet encadrement des élevages a été comblée au moins partiellement pour les NAC non domestiques par l’arrêté du 8 octobre 2018 fixant les règles générales de détention d'animaux d'espèces non domestiques. Néanmoins le but de cet arrêté n’a pas été de pallier ce manquement mais uniquement d’assurer la protection de certaines espèces, ou la protection des humains lors de la détention d’espèces animales potentiellement dangereuses. C’est d’ailleurs pour cette raison que les plus communs et les plus doux de ces NAC non domestiques (citons les octodons, les hamsters nains…) ne sont que très partiellement concernés par ce texte et que la grande majorité des élevages de ces animaux échappent à cet encadrement, le nombre d’animaux détenus pour être pris en considération étant bien plus élevé que celui rencontré dans les faits.
Concernant les NAC domestiques, en janvier 2025, conscient de cette mauvaise transcription du droit européen, le sénateur Arnaud Bazin a déposé la proposition de loi n°228 visant à rendre obligatoires le contrôle des élevages de lapins de compagnie et leur identification. Son article 1 propose ainsi que :
« 1° Au III de l’article L. 214-6, les mots : « ou de chats » sont remplacés par les mots : «, de chats ou de lapins » et les mots : « ou un chat » sont remplacés par les mots : «, un chat ou un lapin » ;
2° Au I de l’article L. 214-6-2, les mots : « ou de chats » sont remplacés par les mots : ««, de chats ou de lapins ».
Cet article permettrait donc que les lapins bénéficient du même encadrement dans leur élevage que les chiens et les chats. Notons que cet article pourrait en réalité concerner les élevages des autres espèces de NAC domestiques, rats, souris, cochons d’Inde, et bien d’autres.
Cette proposition de loi a cependant fait l’objet de moqueries dans les couloirs du Sénat et de l’Assemblée Nationale, ce qui est regrettable quand il s’agit de rectifier une erreur dans la législation. Notons que ce même sénateur, lors de la discussion au Sénat de ce qui allait devenir la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes, avait déposé un amendement sur ce même sujet, amendement refusé car manifestement non compris par la rapporteure du projet de loi et certains parlementaires. Cette fois, une opportunité sera-t-elle offerte à cette rectification d’une loi mal conçue ?
Le second article de cette proposition de loi demande quant à lui l’obligation d’identification des lapins de compagnie, afin d’en assurer la traçabilité, aussi importante pour le lapin (en cas de perte, de vol mais aussi pour en réprimer l’abandon sauvage et sans conséquences, faute de pouvoir identifier le propriétaire « indélicat ») que pour en assurer le suivi sanitaire, indispensable en cas de zoonose, et pour la lutte contre le trafic. Mais cela est encore un autre combat…