Analyse
Journée Mondiale des espèces menacées du 11 mai : Zoom sur la situation des poissons d’eau douce en France
Notre planète connaît actuellement la sixième extinction en masse d'espèces de son histoire. Ce déclin de la faune et de la flore touche tous les écosystèmes, terrestres et marins. Les eaux douces ne couvrent que 1 % des surfaces du globe mais elles abritent un tiers des espèces de vertébrés et sont aussi concernées par l’écroulement de sa biodiversité (1). Afin de dresser un bilan objectif du degré de menace pesant sur les espèces de la faune et de la flore à l’échelle du territoire national, un état des lieux est réalisé par le comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et le Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN), en partenariat avec la Société française d’ichtyologie (SFI) et l’Agence française pour la biodiversité (AFB) sous forme d’une liste rouge des espèces menacées.
Par Pauline Allier, membre du CA de l'APRAD
Une espèce de poissons d’eau douce sur cinq est menacée en France
En 2019, la mise à jour de la Liste rouge des espèces menacées montre une situation toujours préoccupante pour les poissons d’eau douce dans l’Hexagone. Le bilan s’aggrave même, puisque 39% des espèces sont désormais menacées ou quasi menacées contre 30 % en 2010.
- L’esturgeon européen, la grande alose, l’anguille européenne et le chabot du Lez en danger critique d’extinction.
- La loche léopard, la lamproie marine, l’omble chevalier ou l’apron du Rhône en danger.
- Le brochet aquitain, la lote de rivière ou l’ombre commun en situation de vulnérabilité…
Au total, 15 des 80 espèces de poissons d’eau douce présentes en France métropolitaine, soit près d’une sur cinq, sont menacées de disparition. (2)
La destruction et la dégradation des milieux naturels constituent les principales causes affectant les poissons d’eau douce. La modification des cours d’eau, la variation des débits, les drainages, etc., représentent une menace importante pour les espèces des eaux courantes. La qualité de nombreux milieux d’eau douce est également altérée par la pollution, à laquelle les poissons sont souvent très sensibles. Et à l’avenir, le changement climatique pourrait aggraver les conditions de vie de nombreuses espèces.
Pour les espèces en danger, la pêche est réglementée mais reste également un facteur de menace supplémentaire.
La pêche de loisir sur des espèces menacées
Dans certains fleuves normands, il est possible de trouver du saumon Atlantique. Pour maintenir cette population fragile, sa pêche est encadrée par une réglementation stricte et, là où elle est autorisée, par une obligation de marquage des captures. Ainsi, dès la sortie de l’eau, le pêcheur doit apposer une bague de marquage sur le saumon et remplir une fiche récapitulative de capture sur son carnet nominatif de pêche. Des mesures (poids, taille) et un prélèvement d’écailles doivent être réalisés.
Mais quand bien même la réglementation est stricte, le respect de celle-ci est différent. DéclarationPêche.fr est le site de déclaration des captures de saumon et de truite. Géré par la FNPF (Fédération Nationale de la Pêche en France), le site est mis à disposition des pêcheurs et des partenaires pour appuyer la connaissance et la gestion de ces poissons.
Seulement, en 2022, le site remonte une baisse des déclarations de dépositaires depuis 2020 (3). Afin de lutter contre la sous-déclaration des captures fluviales de saumon atlantique sur la Normandie, ce sont les agents de l’OFB (Office Français de la Biodiversité) qui ont dû mener une vaste campagne de sensibilisation et de contrôle au niveau régional (4).
L’association LOGRAMI, qui œuvre pour la gestion et la restauration des populations de poissons migrateurs, alerte aussi depuis plus de 10 ans les gestionnaires et administrations du bassin de la Loire sur la situation alarmante de l’alose et depuis peu sur celle de la lamproie marine. Malgré ces avertissements basés sur une réelle pertinence des données grâce à leurs réseaux de stations de comptage, à ce jour, aucune mesure supplémentaire de régulation de la pêche pour ces deux espèces n’a pu être mise en place (5).
En 2022, huit rivières ont été fermées de manière anticipée pour atteinte du total autorisé de capture (TAC) des saumons de printemps : Jaudy (22), Trieux (22), Aulne (29), Douffine (29), Couesnon (25/50), Blavet (56), Arques (76) et Bresle (76/80) (6)
En avril 2024, pour la première fois depuis 33 ans, les pêcheurs ont été contraints par le tribunal administratif de Bordeaux de suspendre l'autorisation de pêche à la lamproie en Gironde. (7) C'est un épisode de plus dans la bataille qui oppose les pêcheurs et l'association écologiste Défense des milieux aquatiques, mais celui-là est d'importance pour la préservation de l’espèce.
La surexploitation créée par la pêche associée à d’autres facteurs tels, la destruction de l’habitat, la pollution de l’eau, le braconnage… peut provoquer la réduction d’une population jusqu’à un stade où la stabilité n’est plus garantie. Dans ce cas, même si les prélèvements sont interrompus, le nombre d’individus restant est trop faible pour garantir la survie de l’espèce. Dans ce cas, le risque d’extinction totale est réel. C’est le cas par exemple de l’anguille européenne, menacée de disparition sur l’ensemble de son aire de répartition, notamment en raison des prélèvements multiples, des turbines des barrages, des prédations des juvéniles mais aussi du braconnage.
Le braconnage pose effectivement un problème supplémentaire. Il consiste à capturer des espèces, que ce soit sous la forme de techniques ou de pièges non autorisés ou bien de pêcher en dehors des dates d’ouverture.
Un article dans le journal de presse Le Parisien du 26 septembre 2023 (8) relate la prise illégale de 2500kg d’anguilles par deux braconniers exerçant dans le Finistère. Illégales, professionnelles ou de loisirs, les activités de pêche impliquent des prélèvements d’espèce dans leur milieu naturel, auxquels s’ajoutent des captures involontaires ou accidentelles. Ces prélèvements peuvent eux aussi conduire à une surexploitation.
En 2013, en France, 67 espèces différentes ont été déclarées capturées en eau douce par les pêcheurs dans le cadre du suivi nationalde la pêche aux engins (SNPE). Plus exactement : 64 espèces par les pécheurs amateurs et 37 espèces par les pêcheurs professionnels. (9) De plus, ce bulletin précise bien : « le système déclaratif ne garantit pas l’exhaustivité » ; « les pêcheurs ne déclarent pas tous avec la même précision (par exemple les sorties sans capture ou le détail des captures par lot) » « les pêcheurs n’ont pas tous la même connaissance précise des différentes espèces, ce qui peut entrainer des erreurs de déclaration ».
L’importance d’ une meilleure formation des pêcheurs
Pour rappel, en France, peut pêcher en eau douce toute personne remplissant 3 conditions cumulatives :
- Justifier de sa qualité de membre d’une association agréée de pêche ;
- Acquitter la redevance pour la protection des milieux aquatiques ;
- Avoir la permission de celui à qui le droit de pêche appartient.
Ces trois conditions sont réunies par toute personne possédant une carte de pêche valable sur le secteur et 100% des adhésions afin d’obtenir une carte de pêche se font en ligne (internet).
Il n’y a donc aucun minima de connaissance requis, la sensibilisation ou la formation se fait uniquement au bon vouloir du pêcheur fraichement adhérant.
De plus, en France, la réglementation est peu lisible car elle n’est pas la même d’un département à l’autre. Des modifications locales sont notamment permises à travers des arrêtés préfectoraux. Cette absence d’un minimum de connaissance obligatoire est une problématique concernant le respect des réglementations protégeant les espèces mais également concernant les individus pêchés.
La pêche de loisir représente une cause de souffrance pour les poissons, et cela est désormais reconnu par la science. (10)
Sur les réseaux sociaux, des vidéos abondent sur des erreurs de captures, des personnes ne sachant pas comment décrocher les hameçons de la bouche de leur prise, ni reconnaitre l’espèce qu’ils ont attrapée…
Le prélèvement d’espèce par la pêche de loisirs augmente artificiellement le taux de mortalité dans une population. Si cette augmentation devient trop importante par rapport à son renouvellement naturel, les effectifs commencent à décliner et la reproduction ne compense plus les pertes, ce qui nous amène à ce terrible bilan concernant nos cours d’eau et son patrimoine piscicole.
Au regard de la situation actuelle, et si les solutions de conservation sont parfois difficiles à mettre en œuvre, ne pourrait-on effectivement pas commencer par stopper net toutes les actions sources de destruction sur les espèces menacées ?
(1) Futura Sciences. Article « Biodiversité : 88 % des gros animaux d'eaux douces ont disparu en 40 ans »
(2) La Liste rouge des espèces menacées en France Poissons d’eau douce de France métropolitaine. 2019
(3) Rapport d’activité 2022 de la FNPF. Page 43.
(4) Communiqué de presse du 22 mai 2023 : « Pêche du saumon : déclarer pour mieux protéger »
(5) https://www.logrami.fr/ Rubrique Blog « la situation des poissons migrateurs s’aggrave »
(6) Rapport d’activité 2022 de la FNPF. Page 43.
(7) https://www.francebleu.fr/infos/environnement/la-peche-a-la-lamproie-suspendue-par-la-justice-en-gironde-
2199376
(8) Leparisien.fr Rubrique Faits Divers du 26-10-2023 Finistère : deux belges avouent avoir péché illégalement
près de 2500kg d’aguilles en 10 ans.
(9) Eau de France. Bulletin 1 : Suivi National de la pêche aux engins. Edition décembre 2015. Données 2013
(10) L. U. Sneddon, V. A. Braithwaite, et M. J. Gentle, « Do Fishes Have Nociceptors? Evidence for the Evolution of a Vertebrate Sensory System »