Analyse
Corinne Vignon, ou la revanche du législatif sur l’exécutif en matière de protection animale
En faisant voter en commission le 10 janvier et en séance le 16 janvier un texte pour supprimer les colliers électriques, à pointe et étrangleurs, la députée continue son travail de législateur pour pallier les carences profondes du ministère de l'Agriculture en termes de bien-être animal.
Benoît Thomé, Président de l’association Animal Cross et membre de l’APRAD
Lorsqu’ils votèrent l’amendement destiné à protéger tous les animaux domestiques (animaux de ferme et de compagnie) comme êtres sensibles en 1976, les députés pensaient sans doute avoir fait le plus difficile. « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. » Ils venaient de poser le fondement de la protection animale moderne, et compléter la condamnation de la maltraitance animale décidée en 1959 et des actes de cruauté en 1963. Ils estimaient sans doute que l’exécutif allait décliner la nécessaire protection des animaux à tous les cas où elle s’appliquait.
Las, près de 50 ans plus tard, et en dépit d’une deuxième tentative pour ancrer la sensibilité animale dans le Code civil en 2015 (article 515-14), code à l’autorité supérieure au Code rural qui comportait le premier article, et des déclarations générales de protection animale (ex : la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie, ratifiée par la France en 2003), les protecteurs des animaux attendent encore que le ministère de l’agriculture applique ces principes généraux aux animaux vivant sous la dépendance de l'homme.
Les doigts des deux mains suffisent pour compter les articles du Code rural proposant une protection effective des animaux domestiques, dans la partie réglementaire (R214-17 et suivants).
La plupart des textes se rapportant aux animaux concernent leur identification, transport, mode d’élevage, abattage, ou encore définissent l’organisation des fourrières, les conditions de vente, la surveillance des animaux dangereux ou la divagation des animaux domestiques. Ces derniers sujets submergent totalement les articles sur la protection animale dans le code rural.
La raison de ce déséquilibre : à l’écoute des différents lobbys, le ministère de l’Agriculture, censé faire appliquer la loi sur le bien-être animal, limite au maximum la portée règlementaire des textes législatifs.
Mme Vignon n’en dit mot, mais elle l’a bien compris. A l’école de L. Dombreval, qui présidait la Commission du bien-être animal lors de la dernière mandature, elle sait que dans ce contexte les petits pas font plus que les grands discours, et qu’un tiens législatif vaux mieux que deux exécutifs tu ne l’auras pas.
Lors de la proposition de loi sur la maltraitance animale, en janvier 2021, Mme Vignon avait proposé un amendement pour supprimer les manèges à poney, ces manèges où les poneys tournent en rond pendant des heures. Lors du débat parlementaire, le ministre de l’Agriculture de l’époque lui répondit sans ciller : « Je comprends tout à fait l’objectif de cet amendement, mais j’en demanderai le retrait parce qu’il relève du domaine réglementaire. […] Une loi fixe des principes de base, au pouvoir réglementaire de les faire appliquer. Voilà pourquoi je vous demande de retirer l’amendement. ».
Les députés étaient passés outre les réserves du ministre et avaient voté le texte…
Deux ans plus tard, Mme Vignon remet le couvert. Elle propose à ses collègues députés de mettre fin aux colliers faisant souffrir les chiens (et les chats). « L’usage normal des colliers électriques, dit-elle en commission, a des conséquences psychologiques importantes – stress, terreur, […] sans parler des lésions physiques comme les brûlures et les pertes de poils.[…] Quant aux colliers étrangleurs et à pointes, ils sont responsables de perforations de la peau, d’écrasement de la trachée, de pression intraoculaire, d’instabilité cervicale, d’arthrose dégénérative ou encore de paralysie du nerf laryngé.[…] », « des pratiques, qui « ne peuvent être tolérées » et relèvent de la « torture » et concerneraient un chien sur quatre ».
Ces colliers ont prospéré lors des trente dernières années. Il était facile au ministère de l’Agriculture de les supprimer, mais il ne l’a pas fait. Pourquoi ?
La liste serait accablante des cas de maltraitance animale non sanctionnés parce que le pouvoir réglementaire a décidé de laisser faire alors qu’il avait autorité pour agir : dans le domaine des animaux de compagnie par exemple citons les chiens qui vivent en permanence dans cinq m2, les chiens qui ne bénéficient pas de promenade, les euthanasies de convenance, les races d’animaux hypertypés, etc. Dans le domaine des animaux de ferme, les poules et les truies, lors de la mise bas, vivant dans des cages, les animaux mutilés, la claustration concentrationnaire dans les bâtiments, le gavage des canards, les transports interminables etc.
Il est temps aujourd’hui de constater qu’il ne faut pas attendre du pouvoir réglementaire la définition d’un socle minimum de bien-être animal et l’élimination des pratiques non conformes. Lors des élections présidentielles de 2022, les associations de protection animale avaient proposé, déjà pour les animaux de compagnie, de définir dans la loi des normes minimum de bien-être animal.
Espérons que Mme Vignon, maintenant présidente du groupe d’études Condition et bien-être des animaux à l’Assemblée nationale, continue et amplifie ses efforts pour définir dans la loi des niveaux minimums de bien-être animal et pour supprimer les pratiques qui font tant souffrir les animaux.