Analyse
Sencient or not sencient : that is the question!
Il est étonnant que le droit ait construit autant de lois sur l’animal non-humain sans en avoir auparavant défini précisément le terme. De même, la notion de sensibilité est sous-évaluée par rapport à la sentience, terme intégrant le concept de conscience.
Dr Claire Borrou vétérinaire, master d’éthique animale, DU de droit animalier
En biologie, un animal est défini comme un être vivant ayant trois fonctions : se développer, se maintenir et se reproduire. Il est multicellulaire et hétérotrophe. Cette définition concerne aussi bien l’anémone, le ver, le mollusque, l’insecte que le mammifère.
En droit il n’existe pas de définition à proprement parler de l’animal. Il est dit domestique s’il a été sélectionné par l’homme et l’arrêté du 11/08/2006 ainsi que le Code de l’environnement en donnent de nombreuses listes. L’animal sauvage libre est simplement défini dans le même code (art. R. 411-5) comme son contraire. L’animal de compagnie est considéré dans le code rural (art. L. 214-6) par sa fonction : « détenu par l’homme pour son agrément ». La notion d’animal s’étend donc du ver à soie, au mammifère, dans un même arsenal juridique.
Eprouvent-ils tous de la sensibilité ?
Dès 1976, le code rural (art. L. 214-1) avait classé l’animal domestique et sauvage captif ou apprivoisé comme « être sensible ». Le code civil a confirmé en 2015 que l’animal était bien un être vivant doué de sensibilité mais restant soumis au régime des biens, excluant toujours les animaux sauvages « libres » comme êtres sensibles car considérés uniquement comme êtres vivants faisant partie du patrimoine commun de la nation (art. L. 110-1).
En 2010, la directive européenne (2010/63/UE) relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques a permis d’améliorer le bien-être de ces animaux en reconnaissant leur sensibilité comme capacité à éprouver et exprimer de la douleur, de la souffrance, de l’angoisse et un dommage durable. Les animaux concernés par cette sensibilité comprennent les vertébrés, les cyclostomes ainsi que les céphalopodes et les fœtus du dernier tiers de gestation. Le texte de la directive en anglais parle dans son article 12 de « sentient creatures » qui malheureusement a été traduit par « créature sensible » en français, car le terme de sencience n’existe que depuis 2020, dans le dictionnaire Larousse.
De quelle sensibilité s’agit-il : d’une simple réaction comme chez la méduse ou chez la dionée, plante qui attrape les mouches à leur contact ? D’un réflexe neuronal nociceptif de soustraction à un stimulus comme chez l’huitre ? Ou d’une nociception plus consciente et intégrée telle la faculté de ressentir de la douleur, du plaisir et d’en éprouver une émotion comme le définit la sentience ? La mémoire favorise alors un apprentissage dont l’animal se sert pour éviter à nouveau la douleur ou reproduire les émotions positives (chez la seiche, le poulpe jusqu’au vertébré).
La sentience est donc un processus plus élaboré qu’une simple sensibilité.
La neurobiologie et l’éthologie peuvent donc aider le droit à mieux affiner la définition de l’animal juridique en considérant sa sentience : un animal est un être vivant sentient. Ce qui nécessiterait de revoir toute la législation concernant la protection de l’animal sentient en droit positif. En effet le scientifique ne fait pas de différence entre l’animal sauvage captif et l’animal sauvage libre, c’est le même individu qui est sentient (art. L. 412-2) au même titre que l’est l’animal domestique. Les articles 713 et 714 du code civil et le code de l’environnement ne devraient plus concerner que les écosystèmes se composant du biotope et de la biocénose en tant qu’ensemble des êtres vivants non reconnus sentients à ce jour par la science. Le code pénal avec ses dérogations et ses conditions de nécessité, intéresserait alors tous les animaux sentients.
Faut-il donner la personnalité juridique technique ou personnalité juridique non-humaine à l’animal sentient, comme le réclament certains pour que le statut de l’animal progresse ? Ou faut-il refonder le droit en instaurant une partie intermédiaire entre la chose et l’homme où tout serait à inventer pour l’animal sentient ? That is the question...
Bibliographie :
- sentience and animal wellfare Donald M.Broom Ed Cabi
- respecter les animaux pour pouvoir respecter l’homme Georges Chapouthier forum of animal law studies 2020 vol 11/3
- la conscience des animaux Pierre Leneindre Ed Quae 2018
- sagesse animale Norin Chai Ed livre de poche 2019
- les langages secrets de la nature Jean-marie Pelt Ed livre de poche 1998 - la sentience dans l’éthique animale Jean-baptiste Jeangène-vilmer Ed presses universitaires de France 2008