R.S.D.A
Quelles mesures de protection relatives aux maladies transmissibles des animaux?
Quelles mesures de protection relatives aux maladies transmissibles des animaux? Sonia Desmoulin Canselier et Maud Cintrat proposent d’aborder cette problématique d’actualité brûlante dans la RSDA 1/2020 p.79-89.
Par Ludivine Vandevoorde, membre de l'APRAD
Les auteures soulignent que le droit sanitaire animalier est à la croisée des chemins entre les maladies animales et les maladies humaines. L’article met tout d’abord en avant la nature commune des mesures employées pour éviter la transmission des maladies tant pour les hommes que pour les animaux tels : l’isolement, l’interdiction de déplacement, les tests et contrôles médicaux exception faite de la mise à mort, qui elle, reste réservée aux animaux. Il aborde ensuite quelques exemples de textes du droit de la santé vétérinaire ainsi que les sanctions applicables en cas de non-respect des mesures sanitaires par les éleveurs. Enfin, une étude approfondie de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) permet de constater que les animaux demeurent traités comme des choses consomptibles.
Les dispositions de la police sanitaire
La police sanitaire des maladies animales transmissibles fait l’objet d’un encadrement juridique à différents niveaux. A l’échelle internationale, l’Organisation Mondiale de la Santé Animale (OIE) a édicté un cadre de référence par l’intermédiaire des codes sanitaires pour les animaux terrestres et maritimes. S’agissant de la législation européenne, le règlement européen du 9 mars 2016 encadre certains actes dans le domaine de la santé animale. Enfin le droit interne, prévoit aux articles L.201-1 et suivants du Code rural des dispositions relatives à la prévention, à la surveillance et à la lutte contre les dangers sanitaires pour les animaux, les végétaux et les aliments.
Il s’avère nécessaire de constater que la reconnaissance de la sensibilité animale au sein des législations européennes ne fait pas obstacle à l’abattage d’animaux d’élevage par centaines dans l’hypothèse d’une simple suspicion de virus susceptible de représenter un danger pour les élevages ou pour les hommes. La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) précise en ce sens, depuis l’affaire Jippes c/Ministre de l’Agriculture du 12 juillet 2001, C-189/01 que la protection du bien-être animal n’est pas un principe général du droit communautaire et ne s’impose donc pas face aux enjeux sanitaires et économiques. Il est donc possible de refuser la vaccination aux propriétaires d’animaux non destinés à la consommation. Sonia Desmoulin-Canselier en déduit que « la santé publique vétérinaire s’oppose ici au soin vétérinaire et à la santé animale, puisque les animaux ne sont ni soignés, ni protégés par vaccin, mais mis à mort pour éviter la propagation à d’autres élevages et les pertes économiques.»
Les sanctions pénales du non-respect des mesures sanitaires par la Cour de cassation
La Chambre criminelle de la Cour de cassation du 3 décembre 2019 n°18-85401 a confirmé la condamnation retenue par la Cour d’appel de Nancy d’une professionnelle de l’élevage canin pour non-respect des conditions sanitaires fixées par le ministre de l’Agriculture et les règlements ou décisions communautaires pour le commerce de chiens en provenance de Slovaquie. Cet arrêt a précisé que l’élément intentionnel de l’infraction pouvait se déduire du double constat de la qualité de professionnel de la vente de chiens et du non-respect de la réglementation. Il est intéressant de relever que les professionnels sont donc réputés connaître la réglementation et l’état sanitaire des chiens et ne peuvent s’exonérer de leur responsabilité. Cette solution apparaissant comme sévère à l’égard des professionnels démontre toutefois un certain « réalisme » puisque seuls ces derniers en tant qu’organisateurs du commerce d’animaux de compagnie sont en mesure d’assurer le respect de la règlementation. La Haute juridiction a également admis la peine complémentaire de confiscation des chiens prévue à l’article 131-21 alinéa 3 du Code pénal. Cette solution se comprend aisément. En effet, le non-respect du droit de la santé humaine et animale et des besoins des animaux par un professionnel du commerce justifie la confiscation des chiens utilisés pour commettre l’infraction ou à l’encontre desquels l’infraction a été commise.
Dans l’affaire du 28 janvier 2020 n°19-83205, un éleveur condamné pour « mauvais traitement à animal placé sous sa garde en récidive et détention de cadavre animal dont l’élimination est obligatoire » avait fait l’objet d’une peine complémentaire de confiscation. Or cette dernière était édictée par l’ordonnance n°2015-1243 du 7 octobre 2015 prévoyant à l’article L.215-11 alinéa 2 du Code pénal que « le tribunal peut prononcer la confiscation de l’animal et prévoir qu’il sera remis à une fondation ou à une association de protection animale reconnue d’utilité publique ou déclarée qui pourra librement en disposer ». Les faits étant antérieurs à l’ordonnance, c’est en toute logique que la Chambre criminelle a dû annuler la condamnation pour méconnaissance du principe de non-rétroactivité de la loi pénale. Il est relevé que la modification opérée par l’ordonnance de 2015 est bienvenue puisqu’elle permet désormais d’éviter qu’un éleveur condamné pour de graves faits de maltraitance puisse récupérer ses animaux.
L’animal toujours considéré comme un bien par la Cour Européenne des droits de l’homme
S’agissant des mesures de protection sanitaire pour les propriétaires d’animaux, la jurisprudence européenne a la difficile tâche de devoir concilier la protection collective des animaux avec la protection des intérêts individuels des éleveurs. A cet égard, la CEDH a admis, dans l’arrêt Chagnon et Fournier c/ France du 15 juillet 2010 n°44174/06 et n° 44190/06, que la lutte contre une épizootie constitue un motif d’intérêt général pouvant justifier les atteintes à la propriété lorsqu’elles sont proportionnées au but poursuivi. En l’espèce, elle a considéré que les mesures d’abattage d’ovins pour suspicion de fièvre aphteuse et l’indemnisation partielle des éleveurs ne constituaient pas des mesures disproportionnées puisqu’elles n’intéressaient qu’une catégorie d’animaux pour une durée limitée et que l’indemnisation partielle était un traitement égalitaire applicable à l’ensemble des éleveurs concernés.
Dans le prolongement de sa jurisprudence, la CEDH a rappelé dans l’arrêt SA Bio d’Ardennes c/Belgique du 12 novembre 2019, requête n° 44457/11 que la lutte contre les maladies animales transmissibles est un but légitime conforme à l’intérêt général mais que la saisie et l’abattage des animaux peuvent constituer une violation du respect aux biens prévu par l’article 1er du protocole additionnel n°1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme. En l’espèce, dans le cadre d’une suspicion de brucellose, un éleveur belge avait été privé de l’indemnisation pour les animaux abattus qu’il avait réintroduit sur son exploitation sans respecter l’expiration du délai requis par l’inspection vétérinaire. En effet, le droit belge prévoit comme le droit français, la perte du droit à l’indemnisation en cas de manquement aux obligations de lutte contre les maladies animales transmissibles. La CEDH reconnaît une marge d’appréciation aux États pour la protection de l’intérêt général mais considère que dans cette affaire, l’insuffisante indemnisation pour certains animaux en raison du manquement aux obligations était une atteinte proportionnée au droit de propriété. Pour conclure à l’absence de violation de l’article 1er du protocole, la CEDH retient, en effet, que «le requérant n’a pas eu à subir une charge spéciale ou exorbitante du fait de refus d’indemnisation pour l’abattage de ses bovins ». Ainsi, il convient de souligner que la lutte contre les maladies animales reconnue comme un objectif d’intérêt général offre aux États une marge d’appréciation importante pour choisir les modalités de mise en œuvre.
En guise de conclusion, les auteures dénoncent le sort réservé aux animaux par les juges. En effet, il est intéressant de souligner que le vocabulaire révèle « une approche purement utilitaire » qui ne laisse malheureusement pas entrevoir la possible extraction des animaux de la catégorie des biens. De même, la problématique de confiscation ne conduit pas les juges à s’interroger sur le bien-être des animaux mais sur la qualification de ces derniers comme outils de travail constituant les moyens de subsistance des propriétaires. L’article déplore le traitement des animaux comme choses consomptibles par les juges des droits de l’homme.