Analyse
Transports maritimes d’animaux vivants : morts ou vifs ?
Chaque année, des millions d’animaux de rente sont transportés par voie maritime dans le monde.
Par Nathalie Soisson, présidente de l'APRAD
En Europe, le premier port d’exportation est Sète, d’où les animaux partent à destination de ports turques, israéliens, libanais, du Maghreb ou du Moyen Orient. D’autres, venant d’Amérique du Sud, des États Unis ou du Canada, sont importés pour être abattus en Europe (accords Mercosur et CETA). La raison de ces chassés croisés : le profit économique. La conséquence : beaucoup de souffrance, des dommages environnementaux, des risques sanitaires, des dangers pour la sécurité maritime.
Transport maritime et bien-être animal : un oxymore
La grande majorité de la flotte de navires utilisés est constituée d’anciens ferries ou vraquiers reconvertis, dépassant souvent les 30 ans, classés par des sociétés de classification de seconde zone, et battant des pavillons reconnus pour leurs mauvaises performances. La plupart du temps, ces voyages en mer sont précédés et suivis de trop longs voyages terrestres. A bord, les animaux souffrent de surdensité, fatigue, stress, stress thermique et hydrique, blessures, maladies, manques de soins, défaillances dans les systèmes d’abreuvement, d’alimentation, d’aération, et les différentes installations du navire… sans oublier les pertes d’équilibre et divers désagréments lié aux mouvements de la mer, bien loin du « plancher des vaches » qui leur est naturel.
Très peu d’attention est portée à leur devenir une fois arrivés à destination, que ce soit en matière d’infrastructure, de maltraitance ou de conditions d’abattage.
La réalité est que nous admettons de faire voyager des animaux vivants sur des navires hors normes dont on n’a plus voulu pour les autres types de transports !
La législation
Elle est de trois ordres selon qu’elle porte sur les aspects
- Responsabilité du transporteur: en droit français comme international, la liberté
contractuelle est la règle ;
- Bien-être animal : Code sanitaire de l’OIE, Règlement européen (CE) n°1/2005 relatif à la protection des animaux pendant le transport et les opérations annexes, article 13
TFUE…
- Spécifiquement maritimes : Conventions de l’Organisation Maritime Internationale, SOLAS (pour la sauvegarde de la vie humaine en mer), MARPOL (pour la prévention
de la pollution des mers par les navires…
Les textes régissant les aspects de responsabilité du transporteur maritime ne sont que peu efficaces pour la protection des animaux transportés, puisque, en droit français comme international, la liberté contractuelle est la règle et qu’il lui est donc loisible de s’affranchir de nombre d’obligations s’appliquant aux autres transports, et ce du fait d’un vice inhérent « à la nature de la marchandise ».
Les deux autres groupes de textes en revanche, s’ils étaient correctement appliqués, contrôlés et sanctionnés seraient susceptibles, sinon de supprimer, au moins d’alléger les souffrances subies à bord.
Des enquêtes effectuées, tant par des ONGs que par diverses institutions (rapport ANIT, Cour des Comptes Européennes, EFSA…) démontrent clairement les multiples défaillances,
incohérences, inégalités qui finissent par faire de ces transports des modèles de mauvaises pratiques.
Il est de la responsabilité des États, notamment européens, qui se flattent d’être les plus avancés en matière de bien-être animal, de vérifier la conformité des navires qui viennent dans leurs eaux, aux législations applicables, nationales, européennes ou internationales.
Cependant, ces navires ne sont que rarement contrôlés autrement que de façon documentaire, alors que, selon les critères du Memorandum de Paris sur les contrôles par l’État du Port, ces navires devraient être des cibles prioritaires pour les inspections.
Si c’était le cas, nombre d’entre eux seraient, au vue de leur état, détenus avec interdiction de prendre la mer.
Outre les conséquences pour les animaux, ces navires en très mauvais état présentent des risques certains pour la sécurité de la navigation, notamment pour des défauts de stabilité, mais sont aussi source de pollution – carcasses à la mer, moteurs anciens très consommateurs de fuel lourd marin – sans parler des conditions de travail indignes des équipages.
Notre stratégie d’amélioration urgente
- Renforcer drastiquement les inspections de navire dans le cadre des contrôles de l’État du Port, relever les défaillances et appliquer les détentions nécessaires.
- Imposer de véritables contrôles vétérinaires avant l’embarquement et imposer la présence de vétérinaires à bord pendant le voyage, ou tout au moins la présence de convoyeurs ayant une expérience vétérinaire.
- Durcir les conditions d’agrément des navires, exiger une formation spécifique des équipages, installer des caméras à bord.
- Contrôler avant le départ la mention dans le carnet de route de la planification du voyage, prévisions météo, plan d’urgence.
- Interdire les voyages sous certaines conditions météos ou de navigation.
- Sanctionner pénalement les mauvais traitements faits aux animaux.
- Instaurer une véritable culture du bien-être animal dans les transports inspiré de la culture de la sécurité industrielle : indicateurs, retours d’expérience, base de données, bonnes pratiques, rapports RSE…
- Soutenir ces évolutions dans le cadre de la révision des normes européennes sur le bien-être animal dans le transport.
- Préparer à terme le remplacement des transports d’animaux vivants par le transport de carcasses par navires réfrigérés.