Analyse
Regards croisés : le législateur face aux animaux d’élevage
Ce colloque, qui s’est tenu le mercredi 17 janvier 2024 à l’Assemblée Nationale, sous le haut patronage de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée Nationale et sur invitation de Mme Corinne Vignon, députée et présidente du Groupe d’études Condition et bien-être des animaux, avait pour ambition de répondre à une question que bon nombre de personnes se posent : « Existe-t-il un bien-être animal dans le cadre de l’élevage ? ».
Par Brigitte Leblanc, vétérinaire et membre du CA de l'APRAD
A cette occasion, Mme Yaël Braun-Pivet a annoncé que le jour même avait eu lieu la signature de la charte ETICA créée par Welfarm, pour le service de restauration de l’Assemblée Nationale, démarche dont le but est double : accompagner les acteurs de la restauration collective en orientant leurs choix d’approvisionnement vers des produits plus respectueux du bien-être des animaux, et également valoriser les producteurs choisissant de prendre cette orientation éthique.
En avant-propos, Mme Vignon a quant à elle déclaré que « toutes les formes d’élevage ne sont pas acceptables », et que notre responsabilité morale nous impose de mettre en place une démarche holistique, prenant en compte le bien-être des animaux, la santé de l’environnement et notre propre bien-être.
Une actualité peu prometteuse
Mme Adrienne Bonnet, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, et M.Ghislain Zuccolo, directeur général de Welfarm, ont dénoncé les ambitions revues à la baisse de la Commission Européenne, notamment concernant la stratégie « de la ferme à la table » dont le but était d’assurer une production alimentaire plus durable : l’impact des propositions actuelles est bien faible, les buts importants ont été abandonnés, tel l’arrêt de l’élevage en cage par exemple. Seul le thème du transport reste d’actualité, mais avec des visées bien moindres.
L’état des lieux de la législation actuelle montre que beaucoup de textes sont à présent obsolètes ou lacunaires.
M. Fabien Marchadier, professeur agrégé en droit privé et sciences criminelles, s’est justement interrogé sur la notion de bien-être et de protection des animaux dans les conditions des élevages intensifs, puisque dans un contexte d’exploitation où la souffrance animale est normalisée, il s’agit seulement de rendre leurs conditions de vie un peu moins insupportables. Vouloir éviter toute « souffrance inutile » revient à dire que certaines souffrances sont considérées comme « utiles », ce qui permet d’institutionnaliser l’élevage.
Au niveau européen, les avis divergent
Deux députées européennes ont ensuite partagé leur point de vue sur la législation de l’élevage : Mme Irène Tolleret l’a jugée ambitieuse malgré certaines critiques, car devant faire face à la difficulté qu’elle puisse impacter négativement l’élevage européen et les éleveurs déjà fortement appauvris. Mme Caroline Roose s’est montrée quant à elle plus réservée dans son appréciation, se montrant désireuse d’une avancée plus nette pour le bien-être des animaux d’élevage. Elle a appelé à l’utilisation de moyens techniques devenus financièrement abordables (vidéos dans les abattoirs, sexage des poussins, transport de carcasses plutôt que d’animaux vivants,…), opinion partagée par Mme Anne-Laurence Petel, députée et vice-présidente du Groupe d’études Condition et bien-être des animaux. Toutes deux dénoncent également des dispositions insuffisantes de protection des animaux lors de transport à l’international, et pointent du doigt le manque de formation des personnes chargées d’appliquer la législation sur notre territoire.
Quelles sont les pistes d’amélioration à suivre ?
Sur le propos de la formation et de l’information, le sénateur Arnaud Bazin a évoqué la nécessité d’éduquer le consommateur à privilégier des produits français de qualité (label bio, étiquetage) ce qui aura un impact positif sur le bien-être des animaux d’élevage, de lutter contre la sur-consommation de produits carnés, et de diversifier les sources de protéines. Il a également évoqué le problème consistant à exporter des animaux ou à importer des produits transformés d’origine animale dans ou hors de certains pays dans le but de faire baisser les prix, mais avec le risque que la législation de ces pays soit moins rigoureuse en ce qui concerne le bien-être animal.
M. Jean-Pierre Marguénaud, professeur agrégé en droit privé et sciences criminelles, a quant à lui présenté une approche novatrice en proposant la mise en place pour les animaux de troupeaux d’un mandat de protection animale afin de pallier la « non-assistance aux animaux d’élevage en danger » : ce mandat protègerait ces animaux en cas de manquement ponctuel ou involontaire de leur détenteur.
A sa suite, M. François-Xavier Roux-Demare, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles et directeur du Diplôme universitaire de Droit animalier à Brest, a rappelé le rôle du droit pénal qui se veut protecteur des valeurs sociales et donc accompagnateur dans la mise en place du bien-être animal .Il a déploré certaines inadaptations de la loi malgré quelques évolutions, un manque de moyens général ainsi que la persistance de pratiques illégales non réprimées (claquage des porcelets, caudectomie systématique…). Il est donc nécessaire de veiller à l’application du droit.
Pour terminer ces débats, la philosophe Florence Burgat nous interroge: « pourquoi l’humanité est-elle encore carnivore ? ». D’abord carnivore par nécessité, avant la création de l’agriculture, et opportuniste, l’homme peut à présent faire le choix de son alimentation. Dès l’Antiquité la question de l’éthique de l’alimentation carnée a passionné les philosophes. Et s’il est clair que « le passé n’était pas doux aux animaux », les techniques ont encore aggravé leur souffrance. Enfin, Mme Burgat a regretté que tant de lois de protection des animaux fassent l’objet de dérogations systématiques qui les dénaturent.