Analyse
Espagne : entrée en vigueur de la loi reconnaissant les animaux comme des êtres sensibles
Mieux vaut tard que jamais. Le parlement espagnol a enfin voté l’approbation d’une loi accordant aux animaux le statut « d’êtres sensibles » (Ley 17/2021, de 15 de diciembre, de modificación del Código Civil, la Ley Hipotecaria y la Ley de Enjuiciamiento Civil, sobre el régimen jurídico de los animales).
Laurence MAYER, Simon ISSLER, Avocats au barreau de Paris. Laurence MAYER est aussi membre de l’APRAD
Le projet de loi était sur la table depuis 2017 mais deux élections générales espagnoles de 2019 en ont retardé l’étude.
Entre temps, le 1er février 2018, est entrée en vigueur en Espagne la Convention européenne de protection des animaux de compagnie du 13 novembre 1987, laquelle impose à ses contractants d’assurer un niveau de protection minimum pour les animaux de compagnies en interdisant de leur causer des douleurs inutiles, des angoisses, ou encore de les abandonner.
On rappelle aussi qu’au niveau du Droit de l’Union, le Traité de Lisbonne de 2009 impose une prise en compte du bien-être animal en tant qu’êtres sensibles (1).
Désormais, c’est le régime juridique de l’animal en droit civil qui évolue enfin en Espagne. La loi a été approuvée le 2 décembre 2021 par l’ensemble des parlementaires du Sénat et du Congrès, à l’exception du parti VOX, lequel n’a pas manqué de qualifier le projet de loi d’ « absurde et stupide » dans la mesure où il s’agirait, d’après le parti d’extrême droite, « d’une façon d’humaniser les animaux et de déshumaniser les hommes ».
Toujours est-il que l’Espagne s’est alignée sur les autres pays européens, qui leur reconnaissent la qualité d’êtres vivants doués de sensibilité (l’Autriche en 1986, l’Allemagne en 1990, la Belgique en 2009, la France en 2015 et enfin le Portugal en 2017).
Concrètement, que vient changer cette loi sur le droit espagnol ?
Elle modifie en substance trois textes : le Code civil, la Loi sur la procédure civile et la Loi sur le Droit hypothécaire.
Jusqu’à présent, le droit civil espagnol traitait l’animal avec le même statut que toute chose inanimée.
Il y avait cependant un contresens avec le droit pénal, puisque le Code pénal espagnol distingue déjà depuis 2003 les délits résultant de dommages causés aux choses et ceux causés aux animaux. Ce paradoxe est d’ailleurs expressément mentionné dès le Préambule de la loi 17/2021.
Désormais, le Code civil espagnol prévoit en son nouvel article 333 bis que « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Le statut juridique des biens et des choses ne leur est applicable que dans la mesure où cela est compatible avec leur nature ou avec les dispositions relatives à leur protection ».
Ce nouveau statut juridique de l’animal impacte le droit de propriété, le droit des obligations mais aussi, et c’est une avancée intéressante, le droit de la famille.
En effet, un ajout notable du législateur espagnol prévoit expressément des dispositions traitant du sort de l’animal de compagnie à l’issue d’un divorce ou d’une séparation.
L’article 90 du Code civil espagnol est ainsi modifié en ce sens que la convention sur les effets du divorce – ou, par renvoi de dispositions, la demande en divorce contentieuse – doit prévoir :
« b) bis. Le sort des animaux de compagnie, s’il y en a, en tenant compte de l'intérêt des membres de la famille et du bien-être de l'animal ; le partage des temps de vie et de soins si nécessaire, ainsi que les charges liées aux soins de l'animal. »
Ainsi, si l’animal domestique continue d’être un bien meuble, il bénéficie d’un statut sui generis.
Dans les cas d’un divorce ou d’une séparation, la mesure de partage qui s’appliquera à l’animal domestique ne devra plus seulement tenir compte de l’intérêt de l’homme, mais aussi de celui de l’animal.
On évoquera qu’en France, notre Code civil ne contient pas de disposition similaire qui soit spécifique au sort de l’animal domestique à l’issue d’un divorce. La jurisprudence insuffle cependant de plus en plus une prise en compte du bien-être de l’animal lorsqu’il s’agit de le confier à l’un ou l’autre des époux en cas de divorce, en tenant compte par exemple de l’aptitude de ceux-ci à en prendre soin (2) ou des conditions d’accueil en retenant qu’il est de l’intérêt du chien de la famille de rester avec celui des époux dont le domicile est doté d’un jardin (3).
En France, il n’en va cependant que de la libre appréciation des magistrats.
La législation civile espagnole fait en ce sens un grand pas en avant en codifiant expressément la nécessité de régler le « droit de garde » de l’animal en cas de divorce et la prise en compte primordiale de son bien-être.
On ne saurait cependant suivre la (trop facile) analogie avec l’intérêt supérieur de l’enfant opérée par le parti espagnol d’extrême droite, puisque l’animal domestique reste tout de même un bien susceptible d’appropriation au sens du droit civil.
Son propriétaire ou possesseur est néanmoins tenu, selon les termes du nouvel article 333 bis §2 du Code civil, d’exercer sur son animal de compagnie un devoir de soin et de respecter ses attributs d’être sensible, en s’assurant de son bien-être, conformément aux caractéristiques propres à chaque espèce et dans le respect des limites établies par la loi.
Parmi les autres modifications apportées par le législateur, la Loi sur le droit hypothécaire exclut désormais du périmètre de l’hypothèque les animaux de bétail et ceux à vocation industriels ou de loisir.
La Loi sur la procédure civile fait quant à elle désormais référence au fait que les animaux domestiques sont insaisissables par les créanciers en cas de défaut de paiement.
Ces nouvelles assises juridiques ont de quoi réjouir, dans un pays où 700 animaux de compagnie sont abandonnés chaque jour (4) et où les lévriers galgos, notamment, subissent toujours de tristes sorts (5).
(1)Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, Titre 2, Art. 13.
(2) Arrêt de la Cour d’appel de Bastia du 15 janvier 2014
(3) Arrêt de la Cour d’Appel de Versailles du 13 janvier 2011
(4) C. CRESPO GARAY, España, líder europea en abandono de animales: 700 cada día, National Geographic, 17 déc. 2021
(5) D’après l’association Galgos del Sur, 50.000 à 75.000 galgos meurent chaque année, tués ou affamés