Analyse
Un procès de chien, une drôle d’idée ?
Les salles obscures projettent actuellement la comédie de Laetitia Dosch : « le procès du chien ». Cette histoire est celle d’une avocate qui décide de se lancer dans une mission à priori impossible : la défense d'un chien accusé d'avoir mordu et défiguré une femme. Une histoire totalement loufoque ? Pas tant que ça… !
Brigitte LEBLANC, Dr vétérinaire, diplômée en droit animalier et Pauline ALLIER, diplômée d’éthologie et de droit animalier
Des procès d’animaux au Moyen Age
En réalité, les procès d’animaux ont bel et bien existé. En France, au Moyen Age, les procès intentés aux animaux sont coutumiers.
À l’époque, les animaux domestiques sont reconnus comme des êtres vivants créés par Dieu, dotés d’une âme, capables de distinguer le bien du mal et étant responsables de leurs actes. Ainsi, les jugements écrits contre les animaux confirment que l’animal qui se voyait reprocher un délit, un crime ou un dommage était jugé comme un être humain.
Les animaux pouvaient être traduits soit :
- devant un tribunal laïc : c’est le cas des animaux domestiques (comme les chats, cochons, chevaux ou bœufs) reconnus coupables de blessure ou d’homicide. Ils sont condamnés, en plus du rituel d’humiliation, à mort par pendaison, bûcher, ou décapitation.
- devant un tribunal ecclésiastique : cela concerne les insectes et les rongeurs qui détruisent les récoltes. En général, on les déclare maudits, on les excommunie et on procède à unexorcisme.
En 1226, une jurisprudence indique qu’un porc a été brûlé vif à Fontenay-aux-roses (région IDF) pour avoir dévoré un jeune enfant (1) mais l’exemple le mieux documenté est celui de la truie de Falaise (Normandie) qui, pour avoir mortellement mordu la jambe et le visage d'un enfant, a été jetée en prison avant de passer au tribunal, vêtue comme un véritable humain puis condamnée à la potence (2) .
Ces pratiques n'étaient pas sans soulever de vives critiques chez les esprits éclairés. Elles persistèrent cependant dans tout le pays jusqu'à la fin du XVIIème siècle.
L’animal dans le droit actuel
Les animaux sont aux termes de l'article 515-14 3 du code civil (3), «des êtres vivants doués de sensibilité», mais non dotés de la personnalité juridique. Ainsi, tout sensible qu’il est, l’animal n’en reste pas moins une « chose » soumise à la propriété et donc au régime des biens.
De ce fait, les animaux domestiques ou tenus en captivité sont protégés par le code pénal, qui réprime les mauvais traitements, actes de cruauté ou mise à mort sans nécessité et par le code rural et des pêches maritimes, qui régit les activités liées à l’animal (élevage, transport, abattage…).
En revanche, aucune de ces dispositions ne s’applique aux animaux sauvages en liberté qui ont un statut de « Res nullius » (la chose de personne) ce qui implique que leur protection est mise à mal et qu’ils peuvent être blessés, capturés, maltraités ou mises à mort en toute impunité.
Les hommes ont ainsi établi des lois inégales et anthropocentrées envers les animaux.
Dans « le procès du chien », l’avocate et l’éducateur canin semblent se projeter sur l’animal, identifier la même douleur. Certains critiquent une confusion entre l’animal et l’humain, mais il s’agit d’identifier la même sensibilité, et pas la même capacité de raisonnement.
Le philosophe Jeremy Bentham (4) indiquait par ailleurs « La question n'est pas : peuvent-ils raisonner? Ni, peuvent-ils parler? Mais peuvent-ils souffrir ? »
Ce film, et plus encore le verdict du procès de « Cosmos » posent ainsi la question de la responsabilité morale des hommes à l’égard des animaux.
(1) « Bestiaires du Moyen Âge » Michel Pastoureau
(2) « L’exécution de la truie de Falaise en 1387 » Adrien Dubois
(3) https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000030250342
(4) « Introduction aux principes de la morale et de la législation » Jeremy Bentham