Analyse
Le contrôle des appellations des denrées comportant des protéines végétales prévu par le décret n° 2024-144 du 26 février 2024
APRAD & Clinique Juridique de l'HEDAC
L’article L.412.10 du Code de la consommation, créé par la loi du 10 juin 2020 (1), proscrit l’usage des « dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d'origine animale » pour les « denrées alimentaires comportant des protéines végétales ».
Cette nouvelle disposition devait permettre au consommateur d’avoir une meilleure information sur les denrées alimentaires qu’il consomme et une meilleure traçabilité (on se souvient du scandale des lasagnes Findus ne contenant que de la viande de cheval car moins dispendieuse) (2) . Cet article prévoyait par ailleurs que les modalités de cette interdiction seraient déterminées par décret.
Le premier décret d’application de la loi du 10 juin 2020 a été publié le 29 juin 2022 (3). Il proscrivait l’usage d’une liste de dénominations comprenant les termes « steak » ou « saucisse » pour les «denrées alimentaires, fabriquées sur le territoire national, contenant des protéines végétales ».
Saisi en référé par des sociétés commercialisant ce type de produit, le Conseil d'État (4) a suspendu l’application dudit décret et saisi la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) d'une question préjudicielle portant notamment sur la compétence du gouvernement français à intervenir quant à la régulation du contenu et de l'utilisation de dénominations des denrées alimentaires d'origine animale pour les denrées comportant des protéines végétales.
Dans l’attente des réponses de la CJUE, le gouvernement a publié le 26 février 2024 (5) un nouveau décret d’application contenant une liste des appellations interdites pour les produits comportant des protéines végétales (notamment les appellations steak, onglet, filet, entrecôte ...) et les taux de protéines végétales en deçà desquels ces appellations sont permises. Les entreprises commercialisant ces produits avaient trois mois pour se mettre en conformité avec les dispositions du présent décret.
Saisi en référé par des sociétés commercialisant ce type de produit, le Conseil d’Etat a, une seconde fois, suspendu l’application du décret le 10 avril 2024 (6) .
La sauvegarde des intérêts économiques des entreprises requérantes
Se prononçant sur le caractère urgent de la suspension du décret, le Conseil d’état a jugé que ce dernier portait une atteinte trop importante aux intérêts (économiques) des entreprises requérantes et que le gouvernement ne justifiait pas que cette atteinte soit justifiée par l’urgence attachée à un intérêt public imposant l'exécution de la mesure.
Le décret de 2024 a été publié près de quatre ans après l’entrée en vigueur de la loi du 10 juin 2020.
Durant ce laps du temps, le Conseil d’état constate que les entreprises ont développé un chiffre d’affaires majeur et essentiel pour leurs activités, sur les produits comme le « steak végétal », « lardons végétaux » ou « bacon végétal ». L’interdiction d’une telle appellation dans les trois mois suivant la publication du décret entrainerait une perte trop importante de ce chiffre d’affaires ainsi que des « coûts liés à la modification de leurs emballages, de leurs supports de vente, à la commercialisation des produits sous de nouvelles dénominations et à l'interruption de leurs ventes pendant le délai nécessaire à la fourniture de nouveaux emballages » (7) .
En outre, cette interdiction ne s’appliquerait pas à leurs concurrents étrangers dont les produits sont fabriqués dans d'autres Etats membres de l'Union européenne, lesquels pourraient continuer de commercialiser leurs produits ce qui nuirait aux producteurs français de produits alimentaires d’origine végétale qui feraient face à une concurrence déloyale étrangère.
C’est donc pour des raisons de baisse de chiffre d’affaires, de délai restreint et d’inégalité avec les concurrents étrangers que le Conseil d’état a suspendu le décret, rejetant par ailleurs l’argument du besoin d’information des consommateurs avancé par le gouvernement.
L’absence de confusion des consommateurs
En effet, le gouvernement faisait valoir l’objectif d’information des consommateurs poursuivi par le décret. Il soutient que les appellations en cause pourraient créer une confusion, due à la similitude des appellations. Autrement dit, le gouvernement craint que le consommateur puisse confondre le steak végétal et le steak animal mais pas le lait de soja du lait de vache. En effet, le décret ne prohibe pas les dénominations usuellement utilisées pour les produits laitiers. L’étiquetage des denrées qu’elles soient végétales ou animales doit donc être honnête, précis et clair.
Sur ce point, le Conseil d’Etat constate qu’entre la date d’entrée en vigueur de la loi (2020) et celle du décret (2024) les consommateurs ont eu le temps d’élaborer des habitudes et de mettre en place des pratiques de consommation. Dans ce contexte, le décret viendrait y mettre un terme, et ce, sans démontrer l’urgence, ni la vraisemblance d’une éventuelle confusion entre les deux types de produits (8).
A ce titre le Conseil d’état juge que « En se bornant à faire valoir l'objectif d'information des consommateurs poursuivi par le décret contesté, alors que celui-ci, pris près de quatre ans après la loi dont il entend assurer l'application, vient modifier des pratiques établies de longue date, l'administration n'établit pas d'urgence s'attachant à un intérêt public imposant l'exécution de la
mesure » (Décision du Conseil d’état de 2024).
Mais le véritable problème ne se situerait-il pas ailleurs ? La décision du Conseil d’état s’inscrit sur ce point dans une tendance à l’augmentation de la consommation de produits d’origine végétale, remarquable en France et à l’étranger, et non pas uniquement chez des consommateurs végétariens ou végans. En effet, le groupe Barclays a publié une analyse en 2019 dans laquelle il montre qu’au Royaume-Unis, 92% de ces produits sont consommés par des flexitariens (9) , soit 22 millions de personnes (10) .
En France, et selon une étude réalisée par FranceAgriMer avec IFOP en 2020, 24% des français se considèrent comme flexitariens et 2,2% ont déjà adopté un régime sans viande (11) , soit 17,5 millions de personnes. Le Conseil d’Etat s’est ainsi aligné sur la volonté de plusieurs millions de personnes, tenant compte d’une réalité sociale que l’industrie de la viande s’obstine à combattre, au lieu de se remettre en question.
En outre, si l’ignorance sur la fabrication du lait végétal et du lait animal est telle, ce ne sont pas les dénominations employées pour les denrées alimentaires qui seraient trompeuses, mais l’absence d’informations des consommateurs sur le processus de fabrication de la protéine végétale et de la protéine animale.
L’opportunité de diminuer la souffrance animale
Les aliments de substitution à la viande sont de plus en plus consommés chaque jour en France pour des raisons de santé et une sensibilisation plus grande au bien-être animal. Dans cette perspective, la bloi EGalim a introduit en 2019 l’obligation de proposer un menu végétarien hebdomadaire dans la restauration scolaire. Ils donnent l’opportunité à chacun de diminuer la souffrance animale en achetant un aliment plus respectueux des animaux et souvent, de l’environnement.
Certains estiment même que la substitution des produits alimentaires d’origine animale par des produits végétaux constitue « la piste d’amélioration de la condition animale la plus prometteuse pour les décennies à venir » (12) . En effet, la consommation de simili-carné (13) réduit la consommation de produits d’origine animale ou de ses dérivés comme la viande ou le lait et, de facto la diminution d’animaux élevés, transportés et abattus dans les conditions que l’on connait.
Le respect du bien-être animal doit se concevoir directement dans l’élevage, quel que soit le nombre d’animaux. Ce sont les mentalités que l’on doit changer dès le plus jeune âge à l’école : le respect de l’autre, différent et le respect de la vie même minuscule.
Si le bien-être animal est totalement absent du débat, il est pourtant au cœur de cette législation puisque, d’après le chiffre d’affaires des entreprises, ce sont bien les animaux qui seraient les premiers impactés par cette mesure.
1 loi n°2020-699 du 10 juin 2020 (art. 5)
2 Franceinfo, « Viande de cheval dans les lasagnes Findus : qui est responsable ? », 2013
3 décret n° 2022-947 du 29 juin 2022
4 Conseil d'État, 12/07/2023, 465835
5 décret n° 2024-144 du 26 février 2024
6 Conseil d'État, 10/04/2024, n°492844
7 Conseil d'État, 10/04/2024, n°492844
8 « En se bornant à faire valoir l'objectif d'information des consommateurs poursuivi par le décret contesté, alors que celui-ci, pris près de quatre ans après la loi dont il entend assurer l'application, vient modifier des pratiques établies de longue date, l'administration n'établit pas d'urgence s'attachant à un intérêt public imposant l'exécution de la mesure. » (Décision du Conseil d’état de 2024)
9 Un consommateur flexitarien limite sa consommation de viande et de poisson, sans pour autant les retire complétement de son alimentation
10 Barclays, carving up the alternative meat market, 2019
11 Végétariens et Flexitariens en France en 2020, FranceAgriMer et IFOP
12 Comment sauver les animaux ? Une économie de la condition animale, Romain Espinosa, Puf p. 264, 2021
13 Produit alimentaire dont les caractéristiques esthétiques rappellent celles d’un produit d’origine animale.